Klapisch ou l’art du soft living au cinéma
Dans notre boutique, nous avons un faible pour les objets qui traversent le temps. C’est pourquoi nous apprécions particulièrement les films de Cédric Klapisch.
Il a cette capacité émouvante de capturer l’essence des gens, des lieux et des liens qui les unissent. On pensait tout savoir du réalisateur : son amour des villes, des rencontres fortuites et des identités en devenir. On l’avait classé parmi les cinéastes de la jeunesse, de l’errance urbaine, des échanges Erasmus et du destin à vingt ans. Mais à bien y réfléchir, un changement s’est opéré progressivement, film après film. Un passage discret du désordre à l’équilibre, de la quête à l’enracinement. Cédric Klapisch est devenu, sans bruit, l’un des premiers cinéastes français du « adultcore », cette esthétique émergente qui célèbre la sensibilité et la douceur de la vie adulte. C’est une réponse culturelle au stress omniprésent de la société moderne. Ce n’est pas l’âge adulte comme fin de parcours, mais comme commencement enfin stable. C’est la vie non plus rêvée, mais habitée. Et c’est exactement ce que Klapisch filme, sans jamais le dire, mais avec une justesse rare. Il s’appuie également sur une troupe d’acteurs fidèles, presque une famille de cinéma. Romain Duris, sa muse, Cécile de France, Zinedine Soualem, Simon Abkarian, Ana Girardot et François Civil : tous savent incarner le demi-ton, le presque-rien.
Dans L’Auberge espagnole (2002), Xavier parcourt Barcelone, naviguant entre les langues et les rencontres amoureuses. C’est l’Europe du mélange, de la vitesse et du hasard. « L’Europe, ce n’est pas un document à signer, c’est une expérience à vivre », déclare-t-il. Vingt ans plus tard, dans Deux moi, deux jeunes trentenaires vivent seuls, travaillent, consultent leur psy et écoutent des playlists. Ils cherchent à tenir. Cette évolution illustre la compréhension de Klapisch que l’aventure réside moins dans l’ailleurs que dans le fait de vivre pleinement ici. « Parfois, ce qui nous manque, ce n’est pas quelqu’un, mais simplement d’être vu. » Cette esthétique du calme et de la simplicité offre une beauté utile, concrète et apaisante. Dans Ce qui nous lie ou En corps, Klapisch explore le retour à des lieux familiers : la maison de famille, le studio de danse. Ces espaces deviennent des lieux de guérison. Dans En corps, Élise, une danseuse blessée, découvre une nouvelle forme d’expression. Klapisch filme cette transformation sans pathos, capturant la vérité d’un cheminement. Travailler, oui, mais pour être aligné, et surtout, à son rythme. Il filme lentement, laissant les saisons s’installer, les vendanges mûrir, les corps se remettre. Les personnages de Klapisch cuisinent, réparent, écoutent. Ils ne cherchent pas à sauver le monde, mais simplement à être présents, à leur place. C’est une forme de tendresse active, modeste mais puissante, qui valorise le geste, le lien et la présence. En creux, ce qu’il filme, c’est La venue de l’avenir comme un glissement subtil. C’est un film profondément ancré dans l’époque, qui explore le réalignement intime. La venue de l’avenir suit plusieurs personnages à des moments charnières. Rien n’est spectaculaire, mais tout est en mouvement. C’est une mise en scène du glissement, du léger déplacement vers une vie plus ajustée, une vie qui n’attend plus de réponses parfaites, mais des questions sincères. L’avenir est un virage, une suite de gestes concrets. « On n’a plus le luxe de faire semblant », résume une réplique, l’ambiance du film : des choix modestes, mais essentiels.
L’avenir ne se déclare pas ; il se construit progressivement à travers nos interactions avec le monde. Cette vision, subtile mais perspicace, est exactement ce que de nombreuses personnes recherchent aujourd’hui : un avenir vivable. Dans Un air de famille, Klapisch capture l’art de transmettre beaucoup à travers les silences d’un repas familial. « Tu ne parles jamais, et maintenant, quand tu parles, c’est pour dire ça ? » Chacun cherche son chat dessine un Paris sensible, où un animal perdu devient le prétexte d’un lien retrouvé. « Le chat, il s’est barré… mais moi, je reste. » Le Péril jeune explore les années lycée, entre drogues douces et prises de conscience, déjà avec un regard tendre. La trilogie L’Auberge espagnole, Les Poupées russes et Casse-tête chinois suit Xavier dans sa longue traversée du doute, de l’errance à la paternité. « Le vrai bordel, c’est pas d’aimer, c’est de savoir quoi faire de cet amour. » Dans Paris, la ville elle-même devient personnage, ensemble vibrant d’histoires croisées. Et Ma part du gâteau réunit une femme de ménage et un trader avec une subtilité rare : la lutte des classes y devient une possibilité de rencontre. Tous ces films explorent un thème commun : comment vivre ensemble, à peu près bien, dans un monde instable. En 2025, où tout change vite, où tout est anxiogène ou ironique, Klapisch propose une voie différente. Une voie douce, ancrée, lucide mais confiante. Il ne nie rien des douleurs. Mais il croit que l’on peut quand même créer du beau, du bon, du stable.
Peut-être, film souvent oublié, est pourtant essentiel pour saisir la vision du futur selon Klapisch. Sorti en 1999, il nous plonge dans un Paris recouvert de sable, dépourvu de sa frénésie habituelle, mais toujours vibrant. Jean-Paul Belmondo y incarne le fils de Romain Duris, venu du futur pour lui confier une mission : engendrer un enfant afin de perpétuer la lignée. « Il faut que tu fasses un enfant. » Ce message souligne l’importance de la transmission et de la continuité, malgré les circonstances. Cette dystopie artisanale, empreinte de douceur et d’absurde, anticipe à sa manière les bouleversements climatiques et existentiels que nous traversons. Pas de grands bouleversements, mais des individus qui cherchent à aimer, à transmettre et à améliorer le monde, génération après génération.
Chez LOULOU, nous partageons ces mêmes convictions. Nous croyons en l’objet bien fait, en l’espace bien pensé et en la création d’histoires dans le quotidien. Si vous appréciez les films de Klapisch, vous vous reconnaitrez dans notre vision du monde : une approche douce, mais déterminée, concrète et empreinte d’humanité. Ce qui nous touche dans ses films, c’est sa capacité à rendre palpables les choses simples : un plat partagé, un trajet à vélo, une hésitation dans une cage d’escalier. Rien n’est mis en scène pour impressionner, tout est là pour susciter des émotions. Il filme la texture du quotidien, la lumière d’un matin doux, les silences qui apaisent. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le soft living : une façon d’habiter sa vie sans brutalité, avec suffisamment de lucidité pour rester debout et assez de douceur pour ne pas s’épuiser. On pourrait dire que ses personnages pratiquent la pleine présence sans le savoir, une forme de méditation active faite de gestes simples : ranger une étagère, appeler une sœur, faire une sieste en laissant la fenêtre ouverte.
Cette esthétique s’inscrit dans la lignée de la culture doudou qui imprègne nos modes de consommation contemporains. On ne se contente plus de décoration : on recherche des objets mignons, réconfortants, qui apaisent l’esprit et l’âme. Une peluche posée sur le canapé, un objet précieux qui nous entoure de sa présence rassurante. Klapisch, lui, filme ces objets du quotidien : une cafetière bien utilisée, un vieux meuble récupéré, une pile de livres qui raconte une vie entière. Il ne filme pas le luxe, mais ce qui est utilisé avec soin, ce qui résonne profondément avec la collectionnite douce qui traverse notre époque.
Il nous rappelle la beauté du tangible, le retour au physique : toucher, cuisiner, danser, bricoler. Le numérique est là, bien sûr, mais jamais au centre. Ses intérieurs dégagent une ambiance de home vibe, un lieu où l’on a envie de s’installer, de s’asseoir, de laisser passer le temps. Même la solitude n’y est pas inquiétante : elle est choisie, pensée comme un creux utile, une pause entre deux présences. Il y a dans ses films une tendresse pour les êtres seuls, pour ceux qui se cherchent, pour ceux qui vivent en marge sans bruit.
L’élégance de ne pas tout dire. Les relations dans les films de Klapisch ne sont pas toujours harmonieuses, mais elles évoluent. Elles se réparent, parfois. Elles s’acceptent, souvent. Il dépeint une génération qui refuse de se conformer aux modèles traditionnels : ni couple rigide, ni carrière sacrificielle, ni famille de vitrine. À la place, il propose des liens choisis, des alliances douces, des vies à géométrie variable. Un hybride travail/plaisir, où l’on cherche moins à réussir qu’à tenir dans la durée, avec intégrité.
C’est là que Klapisch touche quelque chose d’actuel, profondément : cette envie de vivre bien, sans bruit, sans cramer ses réserves. Une vie où l’on fait les choses à son rythme. Où l’on chérit les petites routines. Où l’on accepte de ne pas tout comprendre, mais de continuer quand même. C’est une vie artisanale, dans tous les sens du terme : imparfaite, mais ajustée. Juste assez belle pour qu’on ait envie de s’y attarder.
Alors bien sûr, ce n’est pas spectaculaire, viral. Mais c’est exactement ce qui revient dans nos vies, aujourd’hui : cette recherche d’un équilibre sincère, entre ce qu’on est, ce qu’on veut, et ce qu’on supporte. Et le cinéma de Klapisch, sans discours, sans effets, nous dit simplement que c’est possible. Qu’on peut vivre autrement. Qu’on peut aimer l’adulte qu’on devient.
Klapisch ne cherche pas à capturer des époques. Il les accompagne. Il ne surligne rien, mais il sait observer : les micro‑révolutions, les élans doux, les décisions discrètes qui changent une trajectoire. Il ne filme pas le bruit, il filme l’ajustement. Dans un monde saturé, cette retenue est une force. Et peut-être qu’à travers tous ses films, ce qu’il nous offre, c’est une forme de boussole. Pas pour savoir où aller, mais pour apprendre à tenir debout, ici, maintenant, avec justesse. Et ça, c’est tout sauf rien.